Beau Rivage est un petit hôtel de montagne comme il en existe tant d'autres, niché au-dessus d'un lac à la beauté sombre et inquiétante, surplombé par une montagne au nom aussi évocateur qu'imaginaire, l'Altefrau, jouxtant une frontière jamais nommée, perdu entre un ancien abattoir où un chien ne cesse d'aboyer, et une station thermale reconstruite sur un ancien sanatorium. C'est dans ce décor, si paisible en apparence, que vont évoluer deux couples, sous le regard d'abord de la patronne, puis de Serge, ou de celui qui se fait appeler ainsi, et qui les rejoint un soir, se disant "diplomate" et attendant sa prochaine affectation. L'été indien touche à sa fin, et pendant que Franck, l'époux de la narratrice, profite de cette retraite pour finaliser sa thèse, sa femme s'occupe comme elle peut, conversant avec les autres pensionnaires ou explorant les environs. Les personnages semblent plus énigmatiques les uns que les autres : l'autre couple est composé d'Eric Vasseur, homme d'affaires plutôt désabusé, et de sa femme Christine, ancienne danseuse ayant sombré dans l'ennui puis la dépression à la suite de la blessure qui lui a coûté sa carrière. Dans ce décor délicieusement désuet, la patronne semble tenter de maintenir un semblant de vie, abreuvant de sa conversation permanente les clients de l'hôtel, distribuant à tout un chacun conseils et proverbes tirés de la sagesse montagnarde, et repassant tous les soirs le même enregistrement du Concert du Nouvel An. Dans cette monotonie qui s'est installée, seule l'arrivée de Serge peut apporter quelque nouveauté, mais pourtant, lui-même semble tenir à se faire discret, lui qui a peut-être, comme les autres, comme tout le monde, quelque chose à cacher ?

 

Ambiance feutrée, charme désuet, poétique de l'attente, fuite du temps, tant de mots qui pourraient définir Beau Rivage sans parfaitement le décrire... Dans cette fin d'été indien, où les personnages semblent pris à jamais dans leur routine mélancolique, le mauvais temps s'installe peu à peu, comme un mauvais présage, mais si vite écarté par l'apparente tranquillité de l'hôtel ; la narratrice observe longuement les mille et un détails de la nature, coulant des jours paisibles, et elle attend, tout comme le lecteur attend le moment où tout va basculer, où l'une des beau-rivage.jpgdeux femmes va peut-être céder au charme puissant de Serge, à ses paroles, à son audace, où l'un des deux hommes va peut-être intervenir pour contrer le manège évident du "diplomate". Mais Dominique Barbéris semble prendre plaisir à retarder sans cesse cet instant, jouant avec ses personnages comme avec le lecteur, et distille à chaque page un peu de cette frustration, provoquée peut-être par l'isolement, l'oisiveté, la saison qui invitent à la fuite ou à la faute. Tout dans ce roman semble étrange : les personnages, somme toute assez communs, possèdent chacun leur part d'ombre, l'atmosphère surannée, le temps comme suspendu, l'hôtel perdu au fin fond des montagnes, l'endroit si difficile à identifier qu'il en devient imaginaire... Avec des réflexions sur la nature, le temps qui passe et amène l'inéluctable mort de ce qui fut et ne sera plus jamais, et, finalement, sur la banalité de ces choses, on pense parfois à Proust, à Thomas Mann aussi, notamment dans La Mort à Venise, mais tout cela en plus léger, comme si cela, finalement, avait peu d'importance, comme si même la fin, où pourtant se produit l'impensable, ne parvenait pas à combler cette nostalgie et cette attente. Un roman en forme de huis-clos parfaitement maîtrisé au style brillant, tout en finesse et en poésie, écrit sur un ton doux amer, et qui laisse volontairement un arrière-goût d'inachevé, comme pour inviter le lecteur à écrire son propre dénouement et à s'emparer du destin de personnages un peu trop esseulés et livrés à eux-mêmes.   3,5 étoiles

 

Ce livre a été chroniqué dans le cadre d'un partenariat avec Chroniquesdelarentréelittéraire.com et Ulike.

 

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