"Depuis que j'ai quitté le Liban en 1976 pour m'installer en France, que de fois m'a-t-on demandé, avec les meilleures intentions du monde, si je me sentais "plutôt français" ou "plutôt libanais". Je réponds invariablement : "L'un et l'autre !" Non par quelque souci d'équilibre ou d'équité, mais parce qu'en répondant différemment, je mentirais. Ce qui fait que je suis moi-même et pas un autre, c'est que je suis ainsi à la lisière de deux pays, de deux ou trois langues, de plusieurs traditions culturelles. C'est précisément cela qui définit mon identité. Serais-je plus authentique si je m'amputais d'une partie de moi-même ?" Ainsi commence l'essai d'Amin Maalouf, écrivain franco-libanais récemment élu à l'Académie française. En partant d'une question, en apparence anodine, mais très révélatrice des préjugés de notre société, Amin Maalouf se livre à une réflexion passionnante sur la notion vague et imprécise d'identité, sur les diverses passions qu'elle excite, et sur les dérives qu'elle engendre un peu partout dans le monde. Et surtout, il se demande pourquoi, si souvent, le désir de revendiquer une quelconque appartenance, qu'elle soit religieuse, culturelle ou encore nationale, conduit à l'intolérance, à la peur, voire à la négation d'autrui. Sa théorie est toute simple : puisque nous sommes tous faits d'identités multiples, au nom de quoi pouvons-nous rejeter l'autre ? A l'aide d'exemples tirés de son expérience personnelle, de l'actualité ou de l'Histoire, Amin Maalouf nous incite à la tolérance, dans une réflexion qui va des nationalismes aux problèmes que soulève la mondialisation , en passant par les replis communautaires ou les massacres ethniques.  Et si son analyse n'est pas originale et novatrice, elle a du moins le mérite d'exister et de chercher à se faire entendre, dans un monde où l'intolérance et le refus d'autrui ne cessent de croître...

 

On connaissait Amin Maalouf romancier, brillant auteur du Rocher de Tanios qui lui a valu naguère le prix Goncourt, le voici essayiste et penseur, de talent qui plus est. Sous couvert de chercher à définir la notion d'identité, le voilà qui interroge imperceptiblement les préjugés qui gangrènent les sociétés, occidentale bien sûr, mais pas uniquement. Dans un style simple, fluide et qui ne s'embarrasse pas de mots savants et autres néologismes dont les philosophes aiment farcir leurs ouvrages, Maalouf nous propose sa vision des choses, sa réflexion comportant deux temps forts bien définis : d'un maalouf.jpgcôté, le diagnostic d'une société qui exacerbe les tensions entre communautés, qu'elles soient religieuses, ethniques ou linguistiques, de l'autre, diverses solutions pour tenter de pallier cette dérive préjudiciable à tous ; il nous invite à un humanisme du troisième millénaire, qui permettrait aux hommes de s'accepter malgré leurs différences. Loin d'être un gentil rêveur, un illuminé, un naïf, Amin Maalouf ne se berce pas d'illusions et propose des mesures concrètes, plus ou moins convaincantes, il est vrai (l'apprentissage de l'anglais en deuxième langue vivante, la première étant une langue "de coeur", choisie par exemple au sein des idiomes de l'Union Européenne, ne paraît guère applicable, du moins tant que l'anglais sera considérée comme la seule langue universelle ; en revanche, ses suggestions sur les votes "identitaires", appuyées sur l'exemple du Liban, sont très intéressantes). Avec ce court essai, Amin Maalouf signe un véritable plaidoyer pour l'humanisme et l'humanité, refusant tous les extrémismes pour prôner la modération (une réminiscence de sagesse antique ?) en toute chose, notamment dans des questions aussi épineuses et propres à susciter des tensions que celles de l'identité et des replis communautaires. Lucide, à la portée de tous et jamais pontifiant ni dogmatique, loin des "y a qu'à" et des "il faut", l'ouvrage de Maalouf ne laissera aucun lecteur indifférent, et l'on ne saurait que trop conseiller sa lecture à tous nos hommes politiques, histoire de leur donner une définition rigoureuse de ce mot d'identité qu'ils ont tant dévoyé.    4 étoiles

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